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Or les chiens et leurs maîtres pénétraient de plus en plus profondément dans la forêt. Jadis, le partage était à peu près net: les Beeru ( les blancs espagnols du Paraguay) dans la savane, les Aché ( les indiens Guayakil) dans les bois. Mais maintenant, les grands feux que les Blancs allumaient à la fin de l'hiver rongeaient peu à peu le territoire indien: des chemins s'y ouvraient, par où les Beeru emportaient les troncs qu'ils coupaient, et la forêt passait peu à peu entre leurs mains. Le vie des Aché s'en trouvait fort compliquée. Leur antique terrain de chasse se réduisait sans cesse; il brûlait aussitôt un espace pour y planter son manioc et son maïs, ses chevaux et ses vaches se répandaient partout à l'entour, les chiens hurlaient et les enfants criaient: c'en était fait du silence, le gibier abandonnait cet endroit, on ne pouvait plus chasser. C'est pour cela que les jaguars partaient eux aussi. Et de toutes parts, les Beeru faisaient la même chose. Les rencontres avec eux étaient de plus en plus fréquentes, malgré toute la prudence des Aché, et maintenant il ne manquait presque jamais, dans la tribu, de femme au visage peint en noir et au crâne rasé, en deuil d'un parent, d'un frère ou d'un fils disparus. Car quelque chose d'incompréhensible, de plus effrayant que tout ce qu'ils connaissaient déjà mettait haine et angoisse au cœur des Aché: les Beeru les poursuivaient dans la forêt pour leur voler les kromi, les enfants. On ne savait pas pourquoi , on ignorait ce qu'ils en faisaient, nombreux étaient déjà les garçons et les filles enlevés par les Blancs...
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Les Iroïangi font aussi eux le jepy (action cathartique), lorsqu'un chasseur meurt.. mais leur vengeance n'est pas comme celle des Aché Gatu. Dans la fosse creusée par terre, on lui offre en sacrifice un de ses enfants, une fille très petite autant que possible. Mais ça peut-être une kujambuku, à la veille de sa puberté. On la met dans la tombe, au dessus- de son père. Les hommes sont debout, autour du trou. L'un après l'autre, ils sautent dedans, à pieds joints, sur l'enfant qu'ils écrasent à coup de pied jusqu'à ce qu'il meure. Quand c'est une kromi (une enfant) , c'est vite fait, elle succombe presque tout de suite. Mais s'il s'agit d'une "grande femme" alors les os sont plus durs, elle met du temps à mourir, elle crie qu'elle ne veut pas, elle tente de sortir de la tombe. Go nonga ure: c'est ainsi que nous faisons nous autres.