mardi 9 octobre 2012

jivaro (anecdotique)

( page 84/85)


Ces peuples de la solitude, comme les appelait Chateaubriand, ont une existence sociale bornée par un très petit nombre d'événements survenant dans un cercle étroit de relations; leur passé remonte rarement au-delà des souvenirs de l'enfance et s'abolit vite dans le monde tout proche de la mythologie. Peu d'Achuar connaissent le nom de leurs arrière-grands-parents, et cette mémoire de la tribu qui se déploie tout au plus sur quatre générations s'engloutit périodiquement dans la confusion et l'oubli. Les inimitiés et les alliances que les hommes ont héritées de leurs pères oblitèrent les configurations plus anciennes que les pères de leurs pères avaient établies, car nul mémorialiste ne s'attache à célébrer les hauts faits accomplis il y a quelques décennies par ceux dont le nom n'évoque plus rien à personne. Hormis les rivières, espaces fugaces et en perpétuel renouveau,
aucun lieu ici n'est nommé. Les sites d'habitat sont transitoires, rarement occupés plus d'une quinzaine d'années avant de disparaître derechef sous la forêt conquérante, et le souvenir même d'une clairière s'évanouit avec la mort de ceux qui l'avaient défrichée. Comment ces nomades de l'espace et du temps ne nous paraîtraient-ils pas énigmatiques, à nous qui portons tant de prix à la perpétuation des lignées et des terroirs et qui vivons en partie sur le patrimoine et la renommée amassés par nos aïeux?

Dans cet univers social exigu et sans profondeur, l'événement le plus insignifiant finit par acquérir une dimension cosmique. La blessure d'un chien à la chasse prend autant de relief que la mort d'un enfant ou un projet de mariage, tous également objets de commentaires attentifs et d'interprétations circonstanciées. La routine des travaux quotidiens étant immuable tout au long de l'année, c'est à la succession des thèmes de conversation que l'on sent passer le temps, comme s'effeuille peu à peu une lente chronique de faits divers. Les guerres, l'abandon d'un conjoint ou les déménagements sur un nouveau site sont les temps forts qui scandent cette sociabilité monotone. Les histoires de vie que nous avons commencé à recueillir se résument ainsi à une suite d'accidents chaotiques : naissance en un lieu disparu, assassinat du père, fuite chez un oncle, conflit meurtrier, rapt de la mère, mariage en un lieu disparu, assassinat du conjoint, nouvelle fuite, nouveau mariage, nouvelle guerre, etc. Entre ces paroxysmes récurrents, la vie reprend ses droits et tisse un nouveau réseau de joies et de peines plus ordinaires. De ces grands éclats de violence qui viennent dissiper l'ennui, je n'ai connu jusqu'à présent que des échos lointains. J'ai devant moi le système clos dont je rêvais et, après quelques semaines
d'observation, je voudrais déjà qu'il soit plus ouvert. Malgré la curiosité toujours en éveil et la routine du travail d'enquête, chaque jour qui passe est englué dans des filaments d'éternité ; notre existence se met doucement entre parenthèses.


 Les lances du crépuscule : Relations Jivaros, Haute-Amazonie


Éthologie

Ces humains  - ils ne sont plus que 4500 aujourd'hui - visités par Philippe Descola en 1986 pendant trois ans,   sont des chasseurs cueilleurs qui sont entrés en contact avec les descendants des colons espagnols en Amérique latine à partir du XVI° siècle. 
 
Ils s'enfoncent dans l'Amazonie pour préserver leurs vies. Ils ressemblent à nos ancêtres d'avant la révolution agricole. C'est la seule différence qu'ils ont avec nous. Au quotidien, ils sont comme nous en quête de ressources de vie et de ressources de reproduction. 
 
Mais ils ne peuvent être nous comme nous ne pouvons être eux car ils sont dans le Mode de Production Humains et nous, dans le Mode de Production Industriel. Ils vont bientôt disparaître soit pas assimilation soit par élimination des tenants du Mode de Production le plus adapté.