lundi 9 janvier 2012

SS (anecdotique)

  Kazimierz Moczarski - Entretien avec le bourreau

 


L'exécution de l'Amiral Canaris ( page 468):

Stroop suspendit un instant le cours de son récit puis il ajouta:
— Rommel avait lancé un ultimatum et pris part à la conjuration, il aurait donc dû pendre au crochet...
— De quel crochet parlez-vous, Herr Général ?

Stroop ne répond pas. Schielke répète sa question. Silence de nouveau. Schielke revient donc au thème principal :

— On m'a déjà raconté à cette époque-là, après le 20 juillet 1944, que vous aviez eu une explication brutale avec les conjurés...
— Une souffrance de plusieurs mois ne convenait-elle pas mieux à un traître pareil, un super-espion, une anguille et un imposteur de l'espèce de Canaris, que la grâce d'une brève instruction et d'une exécution indolore sous la potence ? s'enquit froidement Stroop. Adolf Hitler était juste. Tant qu'il n'eut pas les preuves irréfutables du crime de Canaris mais seulement des soupçons, il se contenta de lui retirer le commandement de l’Abwehr et de le maintenir au poste de rapporteur chargé des questions intéressant la guerre économique et commerciale. Lorsqu'on démasqua le bras droit de Canaris, le général Hans Oster, de l’Abwehr, le Fûhrer donna l'ordre d'interner Canaris au camp de concentration de Flossenburg. Ses papiers et ses notes secrètes le perdirent définitivement. Au dernier mois de la guerre, en avril 1945,on découvrit le petit coffre-fort personnel de Canaris avec son journal concernant la mise en place et la conduite du complot du 20 juillet. Alors? Avant de mourir il a reçu ce qu'il méritait. On l'a rossé pendant plusieurs jours et plusieurs nuits dans un bunker.

Juste à la fin de la guerre, comme je me trouvais en Autriche, à Zell am See, j'ai rencontré l'un de mes amis, un S.S.-Gruppenfùhrer très informé de tout ce qui concernait la liquidation des conjurés du 20 juillet. Cet ami m'a raconté les derniers jours de Canaris qui, avant son exécution, alors qu'il n'avait que cinquante-six ou cinquante-huit ans, ressemblait à un vieillard de quatre-vingts ans. Cheveux gris. Amaigri à l'extrême. Les deux bras et les côtes bandés à cause des fractures. Le visage rougeâtre et livide à la fois...

Stroop s'interrompit. Schielke et moi étions assis, le regard rivé au sol. Silence. Stroop acheva d'une voix alerte :
— Monsieur Schielke, c'est justement l'amiral Canaris qui a fini pendu à un crochet de boucherie. Afin de respecter les termes de la procédure exceptionnelle d'exécution on ôta les bandes qui protégeaient son torse. Il fallait tout de même bien qu'il soit pendu par les côtes et non par ses pansements...

Stroop est récompensé pour la destruction du ghetto de Varsovie en 1943 ( p 365):

— La Eiseme Kreuz I. Klasse me fut remise par le général Krùger qui se trouvait de passage à Varsovie, se rengorgea Stroop un jour.
— Je n'en crois rien ! lança aussitôt Schielke.
— Comment cela ? Vous ne croyez pas que le S.S.-Obergruppenfûhrer Friedrich Krùger, secrétaire d'État à la Sécurité dans l'Administration du Gouvernement général, soit venu me décorer de la Croix de Fer de I° classe qui m'avait été décernée pour quatre dures semaines de combats dans le ghetto de Varsovie ?

Colère de Stroop; ses yeux sont injectés de sang mais il a la mine... d'un mouton.

— Qu'il vous ait remis cette décoration, je le crois. Mais je ne crois pas que Krùger était de passage à Varsovie. Il était venu spécialement pour accomplir solennellement cet acte qui vous honorait. Herr Général, libre à vous de raconter des petites histoires comme celle-ci à votre juge d'instruction pour minimiser aujourd'hui vos "mérites" d'avril et de mai 1943, Mais pas à nous, qui connaissons si bien vos affaires ; ce n'est tout simplement pas convenable.

Stroop :
— Vous avez raison, Herr Schielke. Krùger vint spécialement ici au nom d'Adolf Hitler et du Reichs-führer S.S. pour me décorer. Il y eut un gala, des discours, du Champagne, un dîner spécial, etc. Et après le dîner une promenade à cheval à Lazienki où j'avais organisé une garden-party. Un petit pique-nique. Une tente avec hors-d'œuvre, tartes, vins, schnaps et bière. Plusieurs dizaines de personnes y vinrent, rien que des notables et des généraux. Sur la scène du Théâtre sur l'île un orchestre jouait. Nous chantâmes. Ambiance détendue, véritablement S.S., chevaleresque. Heureux temps...

Schielke se racla la gorge, gratta son menton qui n'était pas rasé, agita les mâchoires et finit par déclarer :
— Ce fut certainement, dans ce parc royal et sur fond de flûte et de cor de chasse, une réception charmante, alcoolisée et fémino-buissonnière. Mais moi ce n'est pas à Lazienki que je pense sans cesse mais à ces trois cent cinquante mille litres de sang juif. Et j'augmente le chiffre précédent car ce n'est pas cinquante-six mille Juifs mais soixante et onze mille que vous avez liquidés.

Et il y eut un nouveau scandale dans la cellule.

Éthologie
Canaris et Stroop ont contribué comme deux humains parmi tous les autres à l'évolution de l'homo sapiens, une espèce de vivants parmi tant d'autres.